IA générative et droit d'auteur : 3 révélations du rapport EUIPO 2025
Description de l'article de blog :
Kiméra Severe
7/11/20256 min read
L'intelligence artificielle générative transforme radicalement la création de contenu et soulève des questions juridiques inédites. Le rapport de l'Office de l'Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) publié en mai 2025 éclaire les tensions entre innovation technologique et protection du droit d'auteur. Cette étude de 436 pages révèle trois enjeux critiques qui redéfinissent l'écosystème créatif européen.
Robots.txt : un système de protection dépassé pour l'ère de l'IA
Un protocole des années 90 devenu norme juridique :
Le fichier robots.txt, créé dans les années 1990 pour gérer l'indexation des moteurs de recherche, est devenu le mécanisme de facto permettant aux créateurs d'exercer leur droit d'opt-out selon l'article 4 de la directive CDSM (Copyright in the Single Market Directive). Ce simple fichier texte permet théoriquement aux détenteurs de droits de réserver leurs œuvres et d'empêcher leur utilisation pour le text and data mining (TDM), processus central de l'entraînement des modèles d'IA.
Les failles critiques identifiées par l'EUIPO
Le rapport révèle plusieurs limitations fondamentales du robots.txt comme mécanisme de protection du droit d'auteur :
Manque de granularité : le protocole s'applique à des répertoires entiers, sans possibilité de cibler des œuvres spécifiques. Un créateur ne peut pas protéger sélectivement certaines images tout en autorisant d'autres.
Absence de spécificité d'usage : impossible de différencier l'indexation légitime par les moteurs de recherche et l'extraction de données pour l'entraînement d'IA commerciale.
Non-contraignant : le respect du robots.txt repose sur la conformité volontaire des robots d'exploration. Aucun mécanisme technique n'empêche physiquement l'accès aux contenus.
Problème de contrôle : le fichier est géré par l'administrateur du site web, rarement le détenteur des droits d'auteur sur le contenu hébergé.
Alternatives émergentes
Face à ces limites, le rapport recense plusieurs solutions : le TDM Reservation Protocol (TDMRep), les standards C2PA et JPEG Trust, ainsi que des services comme SpawningAI et l'infrastructure Liccium Trust Engine. L'étude souligne qu'aucune solution unique n'a émergé comme standard universel, reflétant la diversité des besoins des secteurs créatifs.
L'EUIPO identifie un rôle potentiel pour les autorités publiques : administrer des bases de données fédérées de réservations TDM et sensibiliser aux enjeux du droit d'auteur dans l'IA générative.
Blanchiment de données : quand la recherche scientifique contourne les droits d'auteur
Deux régimes juridiques, une faille exploitable :
La directive CDSM établit une distinction fondamentale entre deux exceptions au droit d'auteur pour le TDM :
Article 3 (Recherche scientifique) : autorise les organismes de recherche à extraire des données sans possibilité d'opt-out pour les titulaires de droits. Exception absolue.
Article 4 (Usage commercial) : permet le TDM à toutes fins, mais les titulaires de droits peuvent expressément réserver leurs droits via un opt-out.
Le mécanisme du data laundering révélé
Cette dualité crée un risque majeur de "blanchiment de données" identifié par l'EUIPO. Le processus : des organismes de recherche créent des jeux de données massifs sous l'Article 3, incluant légalement des œuvres protégées sans l'accord de leurs auteurs. Ces datasets sont ensuite utilisés par des développeurs d'IA à des fins commerciales.
Cas emblématique LAION : En septembre 2024, un tribunal allemand a estimé que LAION, organisation produisant des datasets d'images et financée par des entreprises privées, bénéficiait de l'exception recherche scientifique de l'Article 3.
Implications pour les créateurs
Cette situation permet l'exploitation commerciale d'œuvres protégées sans compensation pour leurs créateurs. Le rapport note que la responsabilité en matière de droits d'auteur se propage tout au long de la chaîne de valeur de l'IA : du créateur du dataset au développeur du modèle, jusqu'au déployeur du service GenAI.
L'EUIPO souligne les préoccupations sur l'exploitation des privilèges de la recherche à des fins commerciales, créant une zone grise juridique inquiétante pour l'écosystème créatif européen.
Du Far West au marché structuré : l'émergence d'une économie des licences de données
Un marché multimillionnaire en pleine croissance :
Contrairement à l'image d'un pillage numérique anarchique, le rapport EUIPO documente l'émergence rapide d'un marché structuré de licences de données d'une valeur de plusieurs millions d'euros.
Accords majeurs identifiés :
Shutterstock : contrats multimillionnaires avec OpenAI pour sa banque d'images
OpenAI : partenariats avec Associated Press, Financial Times, Axel Springer
Google : accord avec Reddit pour accès aux conversations
Secteur de l'édition : positionnement stratégique pour les applications Retrieval Augmented Generation (RAG)
Les moteurs de la transformation
L'étude identifie les facteurs clés transformant le paysage :
Perception de pénurie : la crainte d'épuisement des données de qualité pousse à sécuriser l'accès à des sources fiables.
Qualité des données : les données licenciées offrent de meilleures métadonnées, annotations professionnelles et moins de risques de corruption que les données collectées massivement sur le web.
Aversion au risque : dans l'environnement post-AI Act plus réglementé, les nouveaux acteurs préfèrent investir dans des licences plutôt que s'exposer à des litiges.
Efficacité économique : payer une licence pour des données de haute qualité est souvent plus rentable que mobiliser les ressources considérables pour nettoyer et annoter des données web.
Dynamiques de prix et innovations
Le rapport identifie plusieurs évolutions à suivre :
Développement de taux de référence du marché
Métriques de rémunération (par œuvre, par token, par utilisation)
Innovation dans les types de licences
Lien entre licences basées sur l'input et l'output
Échange réciproque d'actifs commerciaux
Ces dynamiques suggèrent qu'à mesure que le marché mature, des pratiques contractuelles standard émergeront progressivement, transformant le Far West numérique en économie formelle de la donnée.
RAG : nouveaux défis, nouvelles opportunités
Le rapport souligne l'importance croissante des technologies RAG (Retrieval Augmented Generation), qui combinent récupération d'informations et capacités d'IA générative. Cette approche améliore les performances sans réentraînement constant, réduisant les coûts considérables.
Le RAG se distingue en deux formes avec implications juridiques distinctes :
RAG statique : basé sur du contenu localement stocké, potentiellement moins problématique si les licences appropriées ont été obtenues.
RAG dynamique : peut incorporer du web scraping en temps réel, soulevant des questions sur le respect des opt-outs au moment de la récupération.
Mémorisation : le paradoxe de l'originalité dans l'IA
Le rapport examine le phénomène de "mémorisation" conduisant à la "régurgitation" : la reproduction quasi-identique d'extraits de données d'entraînement.
Découverte surprenante : pour les modèles text-to-image, les images les plus fréquemment mémorisées sont celles qui se distinguent le plus du reste du dataset.
Paradoxe ironique : plus une œuvre est originale et unique, plus elle risque d'être fidèlement reproduite par l'IA, sapant la démarche créative de l'artiste.
Solutions développées
L'EUIPO documente les réponses techniques :
Outils de comparaison avec sources d'entrée
Filtres anti-duplication
Réécriture et filtrage de prompts
"Model unlearning" et "model editing" : méthodes pour effacer ou ajuster les informations dans les paramètres du modèle
Plusieurs fournisseurs proposent également une indemnisation légale pour atténuer les risques de violation.
Transparence obligatoire : les exigences de l'AI Act
L'AI Act européen impose aux fournisseurs de systèmes GenAI de garantir que le contenu généré soit détectable. L'EUIPO recense les mesures développées :
Suivi de provenance : C2PA, JPEG Trust, projet Trace4EU blockchain
Détection : StyleGan3-detector pour images, méthodes audio de Deezer
Traitement de contenu : watermarking, empreintes digitales
L'équilibre européen en construction
Le rapport EUIPO 2025 révèle un écosystème en transformation où aucune solution unique n'a émergé comme standard universel.
Trois observations structurantes :
Diversité des approches : la multiplicité des secteurs créatifs nécessite une variété de mesures légales et techniques, souvent combinées.
Maturation du marché : malgré les litiges, des accords de licence se multiplient, signalant une transition vers une économie structurée.
Rôle des institutions publiques : soutien technique (bases de données fédérées), sensibilisation et facilitation de l'interopérabilité.
L'Europe, première juridiction avec l'AI Act, cherche à établir un modèle équilibrant innovation et protection des droits. Le Centre de connaissances sur le droit d'auteur de l'EUIPO, lancé fin 2025, constituera une étape majeure dans cette direction.
Le défi demeure : garantir contrôle et rémunération équitable des créateurs tout en permettant l'accès compétitif à des données de qualité pour les développeurs d'IA de toutes tailles.